Une journée en Haute Provence
La Haute Provence est difficile à appréhender quand on la voit de loin, c’est à dire depuis le nord au-delà de Valence ou à l’ouest du Rhône. En fait, c’est une toute petite région qui s’étire entre le Mont Ventoux, le Mont Denier, la Montagne de Lure et la Sainte Victoire au sud mais qui s’étend un peu à l’est au-delà des Gorges du Verdon et au nord après des derniers soubresauts des pré-alpes de Buis les Baronnies. Je ne saurai parler de la Haute Provence mieux que René Frégni à qui je rends un vibrant hommage pour ce texte admirable de justesse dont il me fait l’honneur.
« La Provence est un songe. Je la sens vivre autour de moi, profonde, mystérieuse, solaire. C’est la lumière qui m’a toujours attiré; mes yeux n’y voient presque rien. Je suis heureux que dehors, sur les chemins et dans les arbres. J’aime tous les ciels et toutes les saisons. Je l’entends respirer comme j’entends mon cœur au milieu de la nuit. Et quand je ferme les yeux; je l’entends encore mieux. La Provence est comme ma vie, je ne la comprends qu’en marchant. Et ainsi jusqu’au soir, je laisse les heures emporter ma vie et mes songes. Je marche sur cette terre brûlée vers l’ombre violette des collines et des clochers de cuivre. J’aime quand le vent soulève comme une robe, l’eau des fontaines. J’aime la plainte d’un volet qui s’entrouvre à 6 heures du soir en été sur un espoir de fraîcheur. Je sais qu’inlassablement je marche vers mon enfance, vers le si beau pays de ma mère. »
René Frégni
Notre journée commence à Manosque de bon matin. Je dis notre, car mon ami Francis est comme souvent à mes cotés lors de mes ballades dans l’arrière pays. Il ne prend pas de photographies mais il aime retrouver les paysages de son enfance presque pas abîmés par ce qu’il appelle la modernité. De nombreux de villages de l’arrière pays semblent restés intacts, protégés par leur inaccessibilité aux technologies modernes. Pour certains, totalement abandonnés depuis plus d’un siècle, nous pouvons aisément imaginer ce qu’était la vie à l’époque où il fallait descendre dans la vallée et marcher plusieurs kilomètres pour chercher de l’eau potable. C’est alors que les films de Pagnol nous reviennent à l’esprit avec comme toile de fond, une guerre pour les sources d’eau potable, denrée si rare en Haute Provence à cette époque.
Depuis les hauteurs des collines environnant Manosque, le lever du soleil sur les Gorges du Verdon est toujours un spectacle unique, éphémère et grandiose. Une halte obligatoire pour la réunion journalière au café afin de restaurer quelques souvenirs perdus et nous voila partis sur la route du plateau de Valensole encore tout frileux sous le brouillard du matin dû à une chute de neige de la veille.
La neige en Haute Provence sur le plateau n’est pas chose courante en ces temps, bien que les anciens ont des souvenirs de chutes de neige accompagnées d’épisodes de froid intense ayant provoqué le gels des oliviers. Mais c’était dans l’ancien temps comme ils disent. Après quelques hésitations, le soleil reprends enfin sa course et fini par se montrer pour illuminer les amandiers en fleurs. Nous sommes en février et les amandiers sont les premiers arbres à montrer leur fleurs multicolores variant du blanc au rose lumineux. La floraison ici est assez précoce, elle remonte depuis les villages du sud comme Cassis où le l’on peut apercevoir les amandier en fleurs dès fin janvier. A cette époque, il n’est pas encore question de lavandes, il est beaucoup trop tôt et elles conserveront leur fleur à l’abri pendant encore quelques mois pour arriver à maturité mi juillet.
Tout au fond du plateau, des routes tortueuses nous conduisent jusqu’à Moustier Sainte Marie, en passant par le bord du lac de Sainte Croix du Verdon. Il parait qu’il existe pas moins de 17 légendes autour de l’étoile de Moustiers. En tout cas, elle a été mentionnée pour la première fois en 1636. Aujourd’hui, c’est la version de Frédéric Mistral, devenue presque officielle au XX eme siècle qui semble généralement adoptée par les Provençaux. Elle précise que l’étoile aurait été posée par le seigneur de Blacas, croisé capturé par les sarrasins lors de la 7ème croisade…
En discutant sur le chemin du retour, nous traversons encore la Durance qui partage en deux cette région pour y avoir tracé son lit dans les galets issus de l’érosion des Alpes. D’ailleurs, la géographie de cette région est intimement liée à l’histoire géologique des Alpes qui ont vu le jour à l’ère tertiaire et qui continuent de monter à cause de la fermeture de la Méditerranée. De l’autre coté de ce qui était un fleuve autrefois, le paysage change radicalement : plus de galets ronds et polis mais des collines calcaires escarpées et arides. Nous entrons dans le Luberon et la Montagne de Lure, nous entrons dans les collines si chères à Jean Giono. En passant par Bonnieux et Roussillon, les bories, qui abritaient les bergers et les moutons lors des transhumances nous offrent un moment de fraîcheur.
Perchée au sommet d’une bute, voici apparaître soudainement Simiane la Rotonde. Depuis la terrasse à colonnes photographiée par Henri Cartier Bresson nous prenons le temps d’admirer la vallée, de respirer cette bonne odeur de nature avant d’aller faire un petit tour au village de Montsalier le Vieux, abandonné depuis la première guerre mondiale.
En montant en altitude sur la montagne de Lure, nous traversons des villages et des campagnes aux couleurs chaudes du soleil couchant, juste le temps de passer à Banon avant d’arriver sur le toit du monde, au Contadour pour admirer le Mont Ventoux qui s’endort au loin.
Haute Provence (France) – 2023