Le sucre tombé du cocotier à Ampawa (Thaïlande).

Le sucre de coco à la façon Thaïlandaise.

A 100 km environ de Bangkok, dans le petit village d’Ampawa (province de Samut Sonkhram au sud ouest de Bangkok) et au bord du Mae Klong, nous entrons dans le cœur de la Thaïlande «authentique». Les habitants toujours très aimables sont proches de la nature exubérante. Ce jour de novembre, chaud et ensoleillé était propice à une ballade dans les abords du village pour rendre visite à un exploitant de cocotiers. En effet, intrigué la veille au marché par des vendeurs de sucre de coco, je voulais en savoir un peu plus. J’allais être le témoin d’une activité originale et en voie de disparition: il s’agit de la fabrication du sucre de coco, utilisé dans les plats traditionnels Thaïlandais pour le bonheur des papilles locales et averties.

Samran, 49 ans et sa femme Manit 48 ans possèdent une exploitation poche de la rivière Mae Klong. Autour de leur maison, les cocotiers et des empilements de noix de coco de toute taille sont leur horizon. Leurs familles sont propriétaires de plantations de coco depuis plusieurs générations et malgré le très lourd tribu versé à cette activité (un mort et un handicapé tous deux tombés des cocotiers), ils continuent néanmoins leur métier traditionnel car ils tiennent à ce que leurs enfants terminent leur scolarité et pour leur donner la possibilité d’avoir un horizon meilleur.

La veille de la récolte, il faut préparer les récipients et les disposer au bout de chaque régime. Pour cela ; il est nécessaire de grimper au sommet des cocotiers puis dépouiller de ses noix un régime complet, le rassembler en une botte et tailler le bout pour permettre à la sève de s’écouler dans le récipient prévu à cet effet.

La sève de coco s’écoulera naturellement pendant la nuit pour donner un quart à un demi-litre de liquide incolore et sucré. Dans la plupart des cas, les cocotiers étant déjà taillés, il suffit de rafraîchir la coupe de la veille ou de l’avant veille et de placer le récipient aussi rapidement que possible autour de la botte car les abeilles, très intéressées elles aussi, sont partout présentes. Dès que le récipient est fixé et entouré par un chiffon destiné à le préserver au mieux des rongeurs, il faut redescendre et recommencer encore et encore.

Le lendemain matin, le travail de collecte des pots commence très tôt, ce qui parait évident vu la chaleur du soleil de midi et la performance physique à établir puisqu’il s’agit pour notre hôte de grimper au sommet d’une soixantaine de cocotiers. Le ramassage à lui seul occupe la matinée.

Samran est mince et leste ce qui facilite la montée, mais dans ce cas, il serait plus juste d’utiliser le mot escalade. Les cocotiers sont tous taillés dans le tronc pour faciliter l’escalade. Néanmoins Samran grimpe à main nues et sans aucune sécurité. Il faut donc allier rapidité, agilité, équilibre et technique afin que les récipients arrivent jusqu’en bas avec tout leur contenu et avec leur porteur. L’ensemble des petits pots en plastique bleu mais plus anciennement en bambous sont ajourés par les morsures des écureuils qui raffolent aussi de la sève sucrée. Ils seront rassemblés en fin de matinée et acheminés vers le hangar de cuisson à proximité du domicile.

Après avoir démarré un feu alimenté avec les palmes séchées issues de la taille d’entretien des cocotiers, la sève récoltée est d’abord filtrée sur un torchon prévu à cet effet puis versée dans un bac qui ressemble à un grand wok surmonté d’une cheminée. Cette hotte en feuilles de bambou sert à accélérer l’évaporation de la vapeur d’eau mais surtout à maintenir une température élevée au sirop de sucre.

Dans cette opération de chauffage, le sirop incolore va prendre progressivement une teinte ocre pale et devenir visqueux. Après environ deux heures de cuisson, le sirop est prêt et présente une densité correcte. Le wok est retiré du feu et disposé au sol sur un pneumatique réservé à cet effet. Commence alors une opération de malaxage avec un ustensile ressemblant à un ressort compressé au bout d’un balai. Cet outil très original sert à aérer le sucre et lui donner du volume. Après dix minutes de malaxage, le sucre est refroidi. Devenu légèrement granuleux et ocre clair, il est enfin prêt et sera versé dans un sceau pour y être pesé puis finalement empaqueté dans des sachets de 1 kg pour être vendu. N’ayant pas pu résister à la tentation de la dégustation, je peux dire que ce sucre a un goût incomparable, une douceur très particulière et originale qui fait le bonheur des papilles puisqu’il est encore largement utilisé dans de nombreuses préparations culinaires.

Le sucre de cocotier n’est pas le seul produit de la plantation. En effet, le cocotier est très largement rentabilisé au travers de nombreuses applications dont on peut dresser une liste rapide et non exhaustive. Les feuilles sont utilisées pour l’emballage des desserts, la fabrication de paniers tissés, de chapeaux et tout un tas d’accessoires dont il est impossible de dresser une liste. Les branches servent aussi comme auxiliaire de chauffage. La coque du fruit est utilisée pour la fabrication d’objets divers et ustensiles de cuisine. La chair de la noix de coco et le jus sont consommés dans les préparations culinaires, la coque filandreuse de la noix de coco est utilisée comme combustible et le bois du cocotier pour la fabrication de mobilier.

Aujourd’hui, Samran et Manit possèdent une grande plantation mais cultivent aussi d’autres fruits afin d’améliorer leurs revenus: lychees, bananiers et ananas; chacun d’entre eux apportant un complément financier utile. Tout cela ressemblerait bien à un paradis… mais, un problème de taille et malheureusement sans solution. Samran, apprécié des personnes locales attachées à leurs traditions, devra s’arrêter dans quelques années, le jour où, l’âge venu, il lui sera devenu trop dangereux et trop fatiguant de grimper au sommet de ses cocotiers si chèrement entretenus. Qui reprendra alors leur succession comme ils l’ont fait eux même il y a presque 30 ans à la suite de leurs parents : personne. Les raisons? Environ 0,4 dollars le kilo de sucre vendu pour une production journalière de 20 à 40 kilos environ. Le salaire de la journée représente donc moins de 20 dollars ! « A ce tarif là, les enfants ne sont pas intéressés pour reprendre la succession » me dit Samran «ils préfèrent aller chercher du travail à la ville dans des bureaux. C’est pour cela que je continue encore un peu afin de leur payer leurs études.»

Je veux par cet ouvrage rendre un hommage à Manit et Samran pour leur travail et les traditions qu’ils perpétuent au péril de leur vie. Un livre leur a été remis une année après les prises de vues en hommage à leur travail.

Ampawa (Thaïlande) – Aout 2009

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